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LES FRANCS TIREURS

quite. Vieux soldat de l’indépendance, habitué aux luttes incessantes d’un peuple qui veut être libre, il avait deviné la révolution sous la révolte en voyant que depuis dix ans ces insurgés, sans cesse vaincus, semblaient chaque fois renaître de leurs cendres pour revenir plus acharnés et plus forts, présenter leurs poitrines aux balles impitoyables de leurs oppresseurs.

Il savait que les habitants n’attendaient que l’annonce d’un succès, même problématique, pour se lever en masse et faire cause commune avec ces hardis partisans, flétris par leurs ennemis du nom de rôdeurs de frontières, mais qui en réalité n’étaient que les enfants perdus d’une révolution, et les apôtres convaincus d’une sainte et noble idée.

Loin d’adresser au capitaine Melendez des reproches qu’il savait que celui-ci ne devait pas mériter, le général le plaignit et le consola.

— Vous avez une revanche à prendre, colonel, lui dit-il, car ce grade, depuis longtemps mérité par le jeune officier, venait de lui être donné par le président de la République ; vos épaulettes neuves n’ont pas encore vu le feu. Je veux vous donner l’occasion de leur faire recevoir un chaud baptême.

— Vous comblerez tous mes vœux, général, répondit le jeune officier, en me chargeant d’une entreprise périlleuse dont le succès me permette de laver la honte de ma défaite.

— Il n’y a pas de honte, colonel, répondit le général avec bonté, à être vaincu comme vous l’avez été. La guerre n’est qu’un jeu comme un autre, où souvent la chance se déclare pour le plus faible ; ne nous laissons pas abattre par un échec insigni-