Page:Aimard - Les Francs-tireurs, 1866.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
LES FRANCS TIREURS.

— Oui, maître Lovel, répondit le matelot en portant la main à son bonnet de laine, c’est ma foi vrai, il vient d’adonner de deux quarts.

L’individu qui répondait au gracieux nom de Lovel étant appelé à jouer un certain rôle dans les scènes que nous avons entrepris de raconter, nous demandons au lecteur la permission de le lui faire connaître et de tracer son portrait.

Au physique, c’était un homme d’une cinquantaine d’années, d’une taille presque aussi large que haute et ne ressemblant pas mal à une futaille à laquelle on aurait adapté des pieds, et pourtant doué d’une force et d’une agilité peu communes ; son nez violet, ses lèvres épaisses et sa face enluminée, encadrée de gros favoris rouges, lui donnaient une physionomie joviale que deux petits yeux gris et enfoncés, pleins de feu et de résolution, rendaient sceptique et railleuse.

Au moral, c’était un brave et digne homme, franc et loyal, excellent matelot et n’aimant que deux choses ou plutôt deux êtres au monde : son capitaine qu’il avait élevé et comme il le disait souvent, auquel il avait appris à faire sa première épissure en lui administrant du tabac, et son navire qu’il avait vu construire, sur lequel il était monté dès qu’on l’avait lancé et qu’il n’avait plus quitté depuis.

Maître Lovel n’avait jamais connu son père ni sa mère ; aussi s’était-il fait une famille de son brick et de son capitaine ; toutes ses facultés aimantes, longtemps refoulées et endormies au fond de son cœur, s’étaient si bien concentrées sur eux que ce qu’il éprouvait pour l’un comme pour l’autre dépas-