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LES FRANCS TIREURS.

— L’homme qui ose parler ainsi, s’écria le commandant d’une voix qui, pour un instant, domina le tumulte, l’homme qui ose parler ainsi est un traître et un lâche. Il ne fait pas partie de l’équipage de mon navire.

Ce fut alors un tumulte inexprimable. Les matelots, oubliant tout respect et toute discipline, se ruèrent avec des cris et des vociférations affreuses sur le gaillard d’arrière.

Le commandant, sans se laisser déconcerter par cette manifestation hostile, saisit un pistolet que lui présentait un timonier demeuré fidèle, il l’arma froidement, et s’adressant aux mutins :

— Prenez garde, dit-il : le premier qui fait un pas de plus, je lui brûle la cervelle.

Les organisations d’élite sont douées d’une si grande puissance magnétique, et leur influence sur le vulgaire est tellement réelle, que les deux ou trois cents mutins, à l’aspect de cet homme qui seul leur tenait tête à tous en les menaçant d’un pistolet, hésitèrent et finalement s’arrêtèrent avec un vague mouvement d’appréhension.

Il était évident que ce pistolet était peu à craindre, même dans l’hypothèse où le commandant mettrait sa menace à exécution, puisqu’il ne pourrait que tuer ou blesser une seule personne ; cependant, nous le répétons, tous ces hommes s’arrêtèrent surpris, épouvantés peut-être, mais, certainement, ne se rendant pas compte du sentiment qu’ils éprouvaient.

Un fin sourire se dessina sur les lèvres du commandant ; il comprit que ces natures abruptes et rebelles étaient domptées ; il voulut assurer son triomphe.