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LES FRANCS TIREURS.

demandons la permission de lui raconter la légende qui courait sur cette forteresse, légende qui s’est conservée jusqu’à ce jour dans toute sa naïve intégrité.

Le voyageur européen qui, pour la première fois, visite le Texas et en général toutes les côtes de l’Amérique méridionale, éprouve un sentiment de tristesse indéfinissable à l’aspect de ces côtes mornes et désolées qui ont vu tant de sinistres et contre lesquelles les flots sombres du Pacifique viennent se briser avec de mystérieux murmures.

Tout en effet dispose à la rêverie dans ces poétiques contrées : ce ciel qui semble une plaque de tôle rougie au feu, ces hautes falaises dénudées, dont les contours capricieux paraissent découpés à plaisir par quelque artiste géant des siècles passés, et portant parfois sur leurs cimes orgueilleuses les ruines imposantes encore de quelque vieux palais des Incas ou de quelque teocalli dont les massives murailles se perdent dans les nuages ; antiques repaires de ces féroces prêtres du Soleil qui faisaient tout trembler autour d’eux et prélevaient leur dîme sanglante sur la terre et la mer.

Avant la conquête, alors que les descendants de Quetzalcoatl[1], le serpent couvert de plumes, régnaient paisiblement dans ces contrées, les épaisses murailles de ces sombres teocallis ont étouffé bien des agonies, caché et autorisé bien des crimes.

De tous les récits qui nous furent faits pendant notre dernier voyage au Texas sur ces lugubres demeures disséminées çà et là sur son territoire, nous

  1. De quelzalli, plume, et de coatl serpent.