Page:Aimard - Les Francs-tireurs, 1866.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
LES FRANCS TIREURS

l’obscurité les empêchait d’apercevoir. La mer était dure et clapoteuse ; de lourdes lames arrivaient du large et roulaient à chaque instant par-dessus leurs têtes ; le vent redoublait de violence ; le terrible coromuel, effroi de ces côtes, où il cause tant de sinistres, venait de se lever ; au ciel pas une étoile, pas une lueur qui pût guider ces hommes si fermes de cœur.

Ils nageaient toujours, pas un cri, pas une plainte, pas un soupir, ne trahissait chez eux, la fatigue ou le découragement. En tête de la ligne sombre formée par les têtes énergiques des conjurés, le Jaguar allait seul.

Trois quarts d’heure s’écoulèrent, pendant lesquels tout ce que la volonté humaine a de force et de courage fut dépensé dans cette lutte de géants par ces hommes que rien ne pouvait rebuter.

Pas un n’avait faibli.

La ligne était toujours aussi compacte, elle s’avançait toujours avec la même vigueur.

Devant eux, à portée de fusil environ, une ombre plus épaisse faisait tache dans l’obscurité. Cette ombre était projetée au loin par la masse énorme du fort.

Ils approchaient !

Depuis leur départ, les conjurés, les yeux ardemment fixés devant eux, n’avaient pas échangé une parole. Qu’auraient-ils dit ? Ils connaissaient parfaitement les conséquences probables de leur folle entreprise, ils avaient entièrement conscience des dangers qu’ils couraient. D’ailleurs, à quoi bon parler quand on peut agir ?

Donc ils se taisaient, mais ils agissaient vigou-