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la ville de Saint-Jean-de-Luz et celle de Serres, dans un petit village dont le nom importe peu au lecteur, et que nous désignerons sous celui de Louberria, que s’ouvre notre récit.

Le village ou plutôt le hameau de Louberria, car il compte à peine une cinquantaine de feux, est caché et comme blotti au milieu d’un bois épais et touffu, dernier vestige d’une de ces vieilles forêts cantabres qui entendirent tour à tour résonner, sous leurs frondaisons séculaires, les pas des soldats d’Annibal se rendant en Italie, ceux des hordes barbares se ruant sur l’Espagne et ceux des musulmans d’Abdérame[1] qui, après avoir conquis l’Aquitaine, furent à la bataille de Tours taillés en pièces par Charles-Martel ; ce bois s’étend encore fort loin aujourd’hui, ses derniers contreforts vont couvrir de leurs puissantes ramures les bords capricieusement accidentés de la Nivelle, charmante et poétique rivière qui, après mille détours, se perd dans l’Océan, à Saint-Jean-de-Luz, qu’elle traverse.

Un certain vendredi du mois de septembre 1851, entre six et sept heures du soir, à une lieue tout au plus de Louberria, deux hommes, l’un âgé de quarante-six à quarante-sept ans, l’autre atteignant à peine vingt ans, le père et le fils, ainsi qu’il était facile de le reconnaître, à cause de la grande ressemblance existant entre eux, se promenaient à pas lents dans les allées sablées d’un jardin de médiocre étendue, mais entretenu avec soin, dépendant d’une maison assez vaste, d’architecture gothique, noircie par le temps et d’apparence confortable, construite à une courte distance de la rive gauche de la Nivelle ; le jardin descendait jusque sur le bord de l’eau ; il avait une sortie sur la plage même, où une estacade, formant une espèce de port, renfermait deux légères embarcations de plaisance, amarrées à des pieux de fer.

Le plus âgé de nos deux personnages était de haute taille, ses traits fins et caractérisés avaient une rare expression de bonté et d’intelligence ; son front découvert, large et échancré, était sillonné de rides précoces, indi-

  1. Note Wikisource : ce nom est une francisation de Abd al-Rahmân ibn Abd Allah al-Ghâfiqi.