Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/222

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— Oh ! quelle mauvaise raison vous me donnez là !

— Dame, je vous donne une raison excellente, il me semble, et, si vous voulez réfléchir un instant, vous la trouverez telle. Ma position est très critique à l’entrée de ces montagnes ; seul, avec ma femme, mon fils et ma fille, sans un voisin que je puisse appeler à mon aide en cas de danger, je dois rester neutre, l’ami de tout le monde, et même au besoin, ajouterai-je, sourd et muet ; le Mayor ou ceux qui lui ressemblent — et malheureusement ils sont très nombreux dans ces contrées — n’hésiteraient pas, à la plus légère observation de ma part, à me faire sauter la cervelle ; alors que deviendraient ma femme et ma fille ?

— En effet, vous êtes dans une situation très difficile. J’ai eu tort, excusez-moi. Mais ces surnoms qu’il porte cachent un autre nom que je voudrais connaître. Je ne sais trop pourquoi cet homme m’intrigue. Moi, si peu curieux de ma nature, je voudrais savoir qui il est, d’où il vient, son nom véritable et le but de ces rapines incessantes et de toutes ces atrocités que l’on met sur son compte. Il est évident que cet homme n’est pas un scélérat ordinaire. Il doit se venger, non pas comme on l’entend vulgairement ; mais, dans ma pensée, ayant souffert des insultes fort graves, peut-être imméritées — on peut tout supposer en pareil cas — dans l’impossibilité d’atteindre ses ennemis, s’est-il déclaré l’ennemi de tous, et venge-t-il, sur ceux que la fatalité jette sous ses griffes de tigre, les douleurs que d’autres, hors de ses atteintes, lui ont fait souffrir.

— À cela, je ne saurais rien répondre, Cœur-Sombre ; il court bien des bruits étranges, bien des histoires extraordinaires sur ce mystérieux personnage ; il a paru tout à coup dans les prairies, il y a une quinzaine d’années ; il se rendit d’abord sur les placeres ; puis, à la tête d’une troupe de bandits, il se mit à écumer les savanes ; les uns disent qu’il est Français, d’autres soutiennent au contraire qu’il est Mexicain, né sur le territoire de Colima. On assure qu’il est marié à une femme charmante et fort riche, qui