Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/354

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l’heure, vous vous êtes, tout exprès, de parti pris, perdue dans des divagations à perte vue, parce que vous n’avez pas osé émettre franchement votre proposition, et cela, quoi que vous en disiez, précisément parce qu’elle vous tient fort à cœur.

— Je ne vous comprends pas, mon père,

— Pauvre petite ! que si, que vous me comprenez fort bien, au contraire ; vous savez que votre mari vous aime au-dessus de tout, vous n’êtes pas jalouse, et de plus, vous connaissez trop bien votre empire sur lui pour l’être jamais ; mais vous êtes curieuse. Cette petite maison trotte dans votre charmante tête, et y produit d’incalculables ravages ; vous voulez prosaïquement deux choses : voir cette maison d’abord, et savoir pourquoi votre mari l’a achetée ; ai-je raison, madame ? Rien de plus simple que d’adresser ces deux questions à votre mari, qui, j’en suis certain, se serait empressé de vous répondre à votre satisfaction ; mais comme vous aviez honte de les faire, parce que votre orgueil de femme en aurait souffert, vous avez louvoyé, comme disent les marins, afin de tourner la situation et essayer adroitement de l’amener tout doucement à répondre de lui-même à ces deux questions sans que vous les lui ayez faites, ce qui sauverait votre amour-propre et le mettrait à l’abri de tout froissement ; et alors vous vous êtes lancée dans une foule de phrases embrouillées à plaisir, et dont vous n’auriez jamais réussi à sortir, si je n’étais si bénévolement venu à votre secours.

— Votre père dit-il vrai, ma chère Denizà ? demanda gaiement Julian.

— Eh bien, oui ! fit-elle avec une moue qui la faisait plus attrayante encore, mais notre père est d’une méchanceté aujourd’hui que je ne lui connaissais pas, et qui m’a fait beaucoup de peine.

— Oublie cette petite taquinerie, ma chérie, et avoue-moi gentiment pourquoi tu ne m’as pas dit tout franchement ce que tu désirais ?

— Mon Dieu, mon ami, dit-elle avec un léger embarras,