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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/201

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Quel principe triompherait dans cette âme gangrenée jusqu’aux moelles : le bien ou le mal ? Lui-même n’aurait su le dire.

Le Manchot le suivait des yeux avec un regard de hyène, et se réjouissait intérieurement des douleurs horribles qu’il voyait souffrir à cet homme, qu’il détestait.

Cependant le Loupeur se calma peu à peu ; il se redressa, jeta un regard autour de lui comme s’il s’éveillait d’un profond sommeil : il passa la main sur son front comme pour en chasser les derniers nuages ; un sourire amer crispa les commissures de ses lèvres…

La lutte était terminée, sa résolution était prise. Quelle qu’elle fût, désormais cette résolution était immuable.

Le Loupeur emplit son verre, le vida d’un trait ; et s’adressant au Manchot, qui avait suivi, avec une curioriosité avide, toutes les péripéties étranges de cette affreuse lutte morale, il lui dit, du ton le plus calme, en retirant une fort belle montre de son gousset, et la consultant :

— Ah ! ça, compagnon, il est six heures trente-cinq, j’ai beaucoup à faire : mieux que personne, vous devez le savoir. À sept heures précises, je partirai ; tant pis pour votre ami s’il ne vient pas ; certes, je ne l’attendrai pas une seconde. D’ailleurs, je n’aime pas qu’on me fasse poser.

— Je vous ai déjà dit, mon maître, et je vous le répète, qu’il sera ici à sept heures moins le quart.

— Avec l’argent et le passeport ?

— Oui, il me l’a promis.

— Très bien ; j’attendrai jusqu’à l’heure dite. À votre santé ! il se versa un plein verre de vin. Vous ne me faites pas raison ? ajouta-t-il.

— Vous m’excuserez, cher monsieur ; je n’ai pas une tête comme la vôtre, moi ; quelques verres de vin me rendent malade, je ne bois que de l’eau.

— Pardieu ! vous justifiez le proverbe, vous savez la chanson ?