Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/346

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Après deux ou trois minutes, le Mayor, ou plutôt le marquis, ouvrit définitivement la porte, et pénétra résolument dans le kiosque.

À quelques pas de la comtesse seulement, il s’arrêta.

— Nous nous sommes donc, vous et moi, échappés tous deux du tombeau, lui dit-il avec une ironie cruelle ; c’est plaisir à se revoir ainsi plus de vingt ans après sa mort, jeunes, forts et heureux.

— Oui, dit la comtesse d’une voix lente et basse, mais ferme ; l’assassin se retrouve face à face avec sa victime, qu’il croyait cependant avoir pour toujours scellée toute vivante dans la tombe.

— On me l’avait dit, reprit le marquis d’une voix rauque ; je ne voulais pas le croire, et pourtant je vous avais vue et reconnue là-bas, en Amérique, aux portes d’Hermosillo ; cette ressemblance me semblait tellement extravagante, que jusqu’à aujourd’hui, malgré le témoignage de mes yeux, je pensais avoir été le jouet de la fièvre qui me brûlait le cerveau et le peuplait de fantômes. Mais vous voilà : ma tête est calme ; je vous ai examinée avec attention, j’ai entendu le son de votre voix ; l’erreur n’est plus possible, c’est bien vous ! vous êtes vivante !

— Oui, répondit-elle avec une indicible amertume, je suis vivante ! malgré vous ! malgré l’horrible assassinat dont j’ai été la victime !

— Oh ! oh ! mort diable ! voilà de bien grands mots, madame, fit-il en ricanant, pour un acte violent peut-être, mais qui, en somme, en vous débarrassant de moi et en vous laissant libre et riche, a tourné à votre bénéfice et vous a faite heureuse.

— Monsieur ! s’écria-t-elle avec dignité.

— Je vous mets au défi de me prouver le contraire, madame, reprit-il avec un rire ressemblant à un grincement de dents.

— Oh ! monsieur ! s’écria-t-elle avec dégoût.

— Précisons, si vous le voulez bien, madame. À peine libre, vous vous remariez ; votre tempérament de feu ne s’arrangeait pas sans doute d’un long veuvage ; vous