Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/14

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— Vrai ?… dit le géant avec joie ; je pourrai vous suivre ?…

— Tu me rejoindras… j’y consens, puisque, si je n’y consentais pas, ce serait exactement la même chose.

— Pour ça, oui.

— Du reste, il est possible que j’aie besoin de toi.

— Bon !… vous pouvez démarrer… Je serai bientôt dans vos eaux… là-bas, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Est-ce que vous ne prenez pas d’armes sur vous ?

— J’ai des pistolets.

— Faudra avoir un revolver ; ça vaut mieux.

— Allons, adieu. Ne tarde pas trop… et surtout sois prudent. Il y va de ma liberté, peut-être de ma vie.

— Bon ! vous pouvez vous en aller.

Le jeune homme lui fit un dernier signe de tête amical, rendit la main et s’éloigna, au grand trot, dans la direction de la barrière d’Italie ou de Fontainebleau, ainsi qu’on la nomme plus ordinairement.

— On veillera au grain, murmura à part lui le géant tout en s’occupant de la disparition des différents vêtements laissés par son capitaine.

Après en avoir fait un paquet qu’il attacha à l’arçon de sa selle, il siffla un petit air de bravoure, jeta un dernier regard de précaution pour explorer les environs, et ne voyant rien de suspect il se mit en selle.

Peu d’instants après il galopait vers Paris.

Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées depuis le départ de la Cigale, que le branchage d’un des arbres de la route s’entr’ouvrit, une tête pointue comme celle d’un renard s’avança, examina les environs ; puis un corps suivit la tête pointue, et le tout dégringola lestement jusqu’à terre.

Là, cette étrange réduction de l’espèce parisienne, tenant un peu de l’homme et beaucoup du singe ou du renard, comme nous l’avancions plus haut, un voyou de la plus laide venue, se mit à ramper jusqu’à la hutte du cantonnier, tout en prenant certaines précautions et en bredouillant entre ses dents :

La cigale ayant chanté tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.

Puis, sans être obligé de se baisser comme le géant dont il raillait le nom pour entrer dans ce pauvre taudis, l’enfant, le gnome, l’être curieux que nous venons de mettre en scène, tira de sa poche une boîte d’allumettes, en frotta une contre le sol, y mit le feu, et, s’orientant, il se dirigea rapidement vers une sorte de judas pratiqué dans la hutte, en face de l’entrée.

— Ça y est, pensa-t-il. Attendons.

Mais il n’attendit pas longtemps.

Un léger bruit se fit entendre derrière la hutte, et une main gantée, petite, aux doigts longs et fins, passa à travers l’ouverture formée par le petit judas.