Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/142

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Quelques minutes de plus, et l’homme à la longue barbe n’aurait plus eu la force de soutenir ce superbe ornement de sa physionomie.

Fermer les yeux, pousser un long soupir de satisfaction, et s’assoupir dans un anéantissement réparateur fut tout un pour lui.

La chambre en question était petite, mais propre et assez bien meublée.

Elle témoignait de certaines habitudes d’ordre cadrant assez mal avec les manières plus que grossières du personnage qui l’habitait.

Une pendule en albâtre, à colonnes droites, placée sur la cheminée, entre deux vases également en albâtre, garnis de fleurs artificielles et horribles, un lit, deux chaises, un fauteuil et un guéridon en acajou, en formaient l’ameublement aussi solide que peu élégant.

Au mur, quelques lithographies mal encadrées et difficiles à distinguer sous la couche de poussière qui recouvrait leurs verres ternis.

Souvenirs et Regrets. — On ne passe pas, quand même vous seriez le petit caporal ! — et Après vous, Sire ! en étaient les sujets.

L’amour et la gloire, le bonheur et la grandeur de ce monde se trouvaient réunis, se faisant vis-à-vis, dans la tanière de cette bête brute qui avait nom Coquillard.

Donnez-vous donc la peine d’être jolie, aimée, adulée, ou de gagner la bataille d’Austerlitz ou de Wagram, pour venir orner le sale papier gris de fer d’une pareille alcôve !

À droite et à gauche de la cheminée, dont le foyer intact attestait la chaleur naturelle de M. Coquillard, se trouvaient deux grands placards.

Au-dessus, une fenêtre à guillotine garnie de doubles rideaux, laissait passer assez de jour pour éclairer cette pièce, dont l’aspect, en somme, était assez triste.

Coquillard reposait, depuis quelque temps déjà, mollement étendu dans son fauteuil, lorsque huit heures sonnèrent :

— Bigre ! balbutia notre homme en s’étirant et en sautant vivement sur ses pieds, huit heures déjà ! Il ne s’agit pas de roupiller la grasse matinée.

En se secouant, comme un chien qui vient d’être fouetté, il alla au placard de droite, y prit une gourde d’eau-de-vie, en but une pleine rasade, et, faisant claquer sa langue avec satisfaction :

— Ça va mieux ! fit-il. J’avais besoin de ce coup de tampon.

Il remit la gourde à sa place, et refermant le placard de droite, il ouvrit celui de gauche.

Celui-ci servait de porte-manteau.

Là se trouvaient toutes sortes de vêtements.

Redingotes et habits bourgeois, vestes et blouses d’ouvrier, uniformes de fantassins et de cavaliers, il y avait de tout.

C’était une véritable arrière-boutique de marchand de vieux galons.

Coquillard réfléchit un instant, et à sa mine sérieuse, à ses sourcils froncés, on eût pu croire qu’il agitait, dans sa vaste cervelle, les destins du département de la Seine.

Puis il choisit un pantalon, croisé noir et blanc, un gilet de piqué marron