Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ques jours de prison préventive, comparut, le 3 mai 1843, devant la sixième chambre de la police correctionnelle.

Condamné à cinq ans de prison en premier ressort, il en appela et se vit acquitter par la Cour royale.

Il n’en avait pas moins fait six mois de prévention.

La leçon fut rude.

Toute rude qu’on la lui eût donnée, elle ne le corrigea guère de sa manie de se mêler des affaires des autres.

Après plusieurs séjours à l’étranger, il revint à Paris vers la fin de l’année 1845, pour fonder une nouvelle agence de renseignements.

Seulement, cette fois, la chose s’exécuta à petit bruit, et dans des conditions plus modestes.

M. Jules s’établit rue des Noyers, n° 7.

Pour des motifs que nous ignorons, la police d’alors, non seulement ne l’inquiéta pas, mais encore, non contente de le laisser tranquille, à plusieurs reprises, et dans des circonstances graves, elle eut recours à lui.

C’est dans cette agence que nous le retrouvons, au moment où le malheureux Charbonneau pénètre dans son antre.

M. Jules, né le 21 juillet 1775, était un homme de cinq pieds six pouces, se tenant très droit, aux épaules larges et carrées, plein de vigueur encore, malgré son âge ; ses traits, bien qu’empreints de vulgarité, brillaient par une expression de finesse remarquable.

Son teint brun, sa barbe rasée de près, ses petits favoris, des cheveux gris, longs et frisés, rejetés en arrière, un front vaste et découvert n’en faisaient pas une tête ordinaire.

Vêtu de noir, toujours en cravate blanche, il portait une profusion de bijoux, tant à son gousset où une large chaîne d’or s’épanouissait, qu’aux boutonnières endiamantées de sa chemise.

Cet homme, qui affectait une tenue irréprochable de gentleman, — à son compte, du moins, — cet homme, qui recevait ses clients élégants, en bottes vernies et en gants paille, portait aux oreilles de petites boucles d’oreille en or.

Tel était le personnage devant lequel Coquillard-Charbonneau, qui sans doute possédait d’autres noms patronymiques dans son sac et s’en servait selon les circonstances, se trouvait, dans une tenue humblement respectueuse, le chapeau à la main et la tête basse.

La comédie de bienveillance, de douceur et de jésuitisme qu’il jouait avec le commun des martyrs, lui était plus difficile à jouer devant ce fin renard.

M. Jules possédait une dose d’orgueil déraisonnable.

Il se croyait non seulement redoutable, mais encore très redouté.

Son plus grand plaisir était de voir trembler devant lui les natures les plus perverses.

Quand il avait affaire à d’honnêtes gens, ce qui naturellement ne manquait pas d’être rare, ses manières changeaient.

La société, pour lui, se composait de plusieurs classes de coquins.