Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/192

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La comtesse, qui, son rire passé, avait eu le temps de la réflexion, lui dit vivement :

— Mon ami, un moment.

Il fit la sourde oreille.

— Arrive, cria le capitaine.

Le matelot s’arrêta.

— Parlez, madame, fit Noël : mon matelot vous écoutera, vous répondra et vous obéira comme à moi-même.

La Cigale s’inclina en murmurant :

— Pardi oui… mais c’est égal, j’aimerais mieux autre chose.

— Pour quelle raison cet individu a-t-il dit qu’il désirait monter à bord ? demanda la créole.

— Ah ! voilà.

— Va donc ! lui enjoignit son chef.

— Le particulier prétend qu’il veut voir quelqu’un.

— Qui ?

— Il ajoute qu’il est l’intendant du comte de Casa-Real.

— Marcos Praya ! dit celui-ci.

— Connais pas.

— C’est pour moi que Marcos demande l’autorisation de monter à bord ? fit le comte en regardant sa femme.

— Sans nul doute. Qu’il vienne. Faites monter cet homme !…

Le matelot consulta silencieusement son capitaine, qui lui répondit par un signe de tête affirmatif.

La créole comprit qu’elle avait violé les lois de la discipline maritime ; elle rougit et s’adressant au capitaine :

— Pardon ! capitaine Noël… j’oublie toujours que je n’ai pas d’ordres à donner ici.

— Ici et partout vous êtes reine et maîtresse, madame, repartit son interlocuteur, qui ajouta : Va, matelot, et fais ce que Mme la comtesse demande.

Pour la Cigale, entendre son capitaine, c’était lui obéir.

Il sortit à reculons et referma sur lui la porte du carrosse.

Le capitaine Noël fit un mouvement pour le suivre.

Sur un geste de Mme de Casa-Real, un laquais approcha un siège du sien.

Une demi-minute après, sans qu’un seul mot eût été échangé entre eux, le marin était assis près de la coquette grande dame.

Le comte venait de fermer les yeux.

Était-ce fatigue ?

Était-ce désir de ne pas avoir l’air d’apercevoir ce manège muet ?

Noël crut à la fatigue.

Hermosa ne se donna même point la peine de chercher ce que cela pouvait être.

La Cigale ouvrit la porte du carrosse, introduisît le métis, majordome du comte de Casa-Real, et sur un coup d’œil de son capitaine se retira discrètement.

Discrétion qui ne coûtait que bien peu au brave mais sauvage colosse.