Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/288

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Mais une auréole de candeur et de pureté donnait à tout son être un relief que la parure la plus brillante n’aurait pu remplacer.

Dans ses grands yeux bleus, fendus en amande, se lisait une expression de sereine bonté, d’intime contentement, qu’ont seules les âmes exemptes de tout remords et de tout reproche.

Sa taille souple s’accommodait aussi bien de cette laine grise qu’elle se serait pliée aux caprices voluptueux de la soie la plus chère ou du velours le plus précieux.

C’était Pâques-Fleuries, l’amie, la sœur de Rosette.

Elle tenait à la main un de ces pots en fer-blanc, à poignée mobile, vulgairement appelés boîtes au lait.

— Je n’ai pas de chance, fit gaiement la Pomme, c’est ce singe d’Arthur qui me porte malheur.

Et elle s’élança vers sa sœur, qu’elle embrassa vivement sur les deux joues.

Mais Pâques-Fleuries ne fut pas dupe de ces caresses précipitées, et menaçant sa sœur du doigt :

— Oui ! oui ! voilà des baisers qui voudraient bien me fermer la bouche, méchante Rose que vous êtes !… Mais il n’en sera rien… Si vous croyez que je vais passer votre escapade sous silence, vous vous trompez… Est-il possible d’être sur pied à cette heure-ci ?

— Tu y es bien, toi, fit l’autre en la câlinant.

— Moi, je sors de mon lit.

— Et moi, je vais m’y mettre.

— Tu te tueras à ce jeu-là, ma sœur, dit sérieusement Pâques-Fleuries.

— Je ne le ferai plus, répondit la Pomme en prenant sa voix d’enfant.

— Mauvaise tête, rentre vite !

— Je t’attendrai.

— Alors, je vais acheter mes provisions, et je remonte dans cinq minutes.

— Encore une voiture ! dit le concierge.

— Ça devient de la folie, ajouta Arthur, qui avait repris une contenance convenable dès l’arrivée de la jeune fille.

Effectivement, un second fiacre tournait en ce moment la rue de la Pépinière. Pâques-Fleuries profita de l’attention que sa sœur et ses amis prêtaient à ce nouveau véhicule, pour sortir et s’éloigner.

Le second fiacre s’arrêta devant la porte.

— Tiens, monsieur Lenoir ! s’écrièrent les jeunes gens avec une surprise joyeuse.

Le concierge salua, lui, en portant révérencieusement la main gauche à son bonnet de police.

— Ma foi ! oui ! c’est moi ! Il serait difficile de nier mon identité, répondit le nouveau venu, qui sauta légèrement à terre, bien qu’emmitouflé dans une ample fourrure de petit-gris et dans de grosses bottes de voyage lui montant jusqu’au genou.

— Vous avez fait un bon voyage, monsieur Lenoir ?

— Toujours bon, père Pinson, toujours bon ; sans cela je ne recommencerais pas.