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XI

UN INTÉRIEUR CRÉOLE.

La brusque retraite du comte de Warrens fut un coup de maître.

Mme de Casa-Real en éprouva une si profonde stupéfaction qu’elle n’eut pas l’idée de s’y opposer.

Elle se sentit paralysée, vaincue, domptée par cette parole si nette, si précise.

Une volonté plus forte que la sienne la tenait captive, enserrée dans un cercle de fer.

Il ne lui vint même pas à l’esprit qu’elle n’avait qu’un geste à faire, un cri à pousser, une sonnette à agiter, pour fermer toute issue à l’homme qui l’accablait de tant de mépris, de tant de froideur. Ses avances repoussées, son charme méconnu, ses prières et ses menaces foulées aux pieds par un adversaire calme et sûr de lui-même, tout cela mit en désarroi les puissances de son être actif, les résistances de sa nature passive.

Le vide se fit pour un moment dans cette tête aux aspirations impétueuses.

La comtesse tomba sur un siège, repliée sur elle-même, écoutant machinalement le bruit de ses pas rapides, qui devenait de moins en moins perceptible.

Mais c’était une ardente et vigoureuse créature.

Quelle que fût la force de la sensation qui venait de la terrasser, la réaction se fit vite.

Secouant avec vigueur les effluves émanant de celui qu’à tort ou à raison elle considérait dès ce moment comme son ennemi le plus implacable, la jeune femme quitta le fauteuil qui avait reçu son corps anéanti, et se précipita vers une fenêtre.

Écarter violemment les lourdes étoffes qui l’empêchaient d’arriver aux petits rideaux dentelés de la croisée, soulever ces derniers d’une main fiévreuse et coller son pâle visage contre une des vitres, fut pour elle l’affaire d’une seconde.

Elle regarda.

Le comte de Warrens descendait précisément les dernières marches du perron.

Corneille Pulk, son groom, lui tenait son cheval.

Il se mit en selle.

Puis, à petits pas, lentement, comme s’il venait de faire une simple et banale visite de cérémonie, il traversa la cour et franchit la grille de l’hôtel, sans jeter une seule fois le moindre coup d’œil en arrière.

La créole regardait toujours.

Un moment elle espéra le retour de cet homme qui l’avait si cruellement traitée.