Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/400

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La comtesse détourna la tête.

Marcos Praya continua :

— Madame la comtesse a-t-elle jamais eu à se plaindre de ma fidélité ?

— Non.

— De ma discrétion ?

— Non plus. Mais retenez bien ceci, Marcos ; pour se vanter de sa discrétion, un fidèle serviteur ne doit jamais prétendre qu’il est discret.

Un éclair de rage brilla dans les yeux du métis.

Par un effort suprême, il se contint et força son visage à redevenir, calme et froid :

— Ce n’est ni de sa fidélité ni de sa discrétion que le pauvre Marcos Praya voulait parler. À quoi bon rappeler ce qui existe ? Marcos Praya supplie sa maîtresse de ne pas dédaigner son dévouement. Ne l’a-t-il pas toujours servie aveuglément ?

— Si… toujours !… Trop bien, peut-être…, murmura celle-ci. Je connais votre terrible obéissance.

— Mon âme obéira encore à la voix de la señora. Mon bras est aussi vigoureux que par le passé. Dites un mot, et cet homme…

— Cet homme, vous le respecterez, Marcos…

— Moi ? fit le métis en poussant une sourde imprécation.

— Je vous l’ordonne. Ses jours vous seront sacrés. Je le veux !

— J’obéirai.

— Bien. Vous pouvez vous retirer. J’ai besoin d’être seule.

— Pour penser à lui ? dit Marcos.

Ces mots lui échappèrent.

Sa haine pour le comte de Warrens venait de s’exhaler malgré lui.

Mme de Casa-Real se redressa, et d’un ton de suprême dédain :

— Que vous importe ? fit-elle.

— Pardon, señora, pardon. Vous l’avez dit : il y a des moments où je perds la raison…

— Et le respect.

— Mon zèle m’a emporté trop loin. Pardonnez-moi.

Le serviteur balbutiait ces excuses avec tant de confusion, il avait les traits tellement décomposés par la honte de s’être laissé deviner et par la douleur d’avoir déplu à sa maîtresse, que celle-ci, quittant ses airs de reine offensée, lui tendit la main et lui fit tout doucement signe de s’éloigner.

Marcos Praya saisit cette main, y posa ses lèvres comme il eût pu les poser sur une rose dont il n’aurait pas voulu blesser une feuille, et timide, repentant, du bonheur plein l’âme, il sortit à reculons, humant pour ainsi dire les dernières senteurs de ce salon qu’il lui fallait quitter, les parfums enivrants de cette divinité qui ne voulait plus être adorée que de loin.

Le métis sorti, la créole demeura pensive.

Elle réfléchissait aux bizarreries de la vie humaine.

— Si je jetais cette bague au fond d’un gouffre, se disait-elle, voilà un être qui n’hésiterait pas à s’y précipiter pour me la rapporter. Si je lui disais ; Vole, tue, assassine, c’est ma volonté, il volerait, il tuerait. Tous ces crimes,