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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/413

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La comtesse examina si la présence de ce tiers ne contrarierait pas l’agent de police.

Celui-ci ne sourcilla pas.

Il n’eut même pas l’air de s’apercevoir qu’à tout prendre la grande dame eût pu lui offrir l’extrémité d’un tabouret quelconque.

Mais en affaires Charbonneau avait pour principe de laisser sa dignité à la porte de tous les appartements où il mettait le pied.

— Vous vous nommez ? fit Mme de Casa-Real du ton qu’elle eût employé envers le dernier de ses gens.

— Je me nomme ainsi qu’il plaira à madame la comtesse, répondit-il en saluant.

— Plaisantez-vous, monsieur ?

— Nullement, madame la comtesse… Je veux dire que, dans notre profession, nous n’avons guère de nom, les prenant tous, au besoin.

— C’est une raison comme une autre, répliqua la créole, qui avait déja pris ses plus grands airs pour montrer à son interlocuteur qu’elle n’entendait accepter de lui que des réponses succinctes et explicites. Cependant vous vous êtes présenté, vous vous êtes fait annoncer sous le nom de Charbonneau.

— Oui, madame la comtesse.

— Vous êtes un des agents secrets de monsieur… de monsieur…, aidez-moi donc un peu.

— De M. Jules. Est-ce de lui que madame la comtesse entend parler ?

— En effet.

— Alors il y a une petite erreur dans tout ceci, et je me permettrai de la rectifier.

— Une erreur ?

— M. Jules est bien une ancienne connaissance à moi, un vieil ami…

— Eh bien ?

— Je possède toute sa confiance ; il n’a rien de caché pour moi… mais…

— N’est-ce pas lui qui vous a adressé à moi ? s’écria la créole avec un commencement d’inquiétude et en jetant un regard soupçonneux sur Anita, qui se tenait silencieuse à ses pieds.

Celle-ci soutint, sans broncher, l’interrogation menaçante de ce regard.

Elle comprenait mieux que sa maîtresse la nature de ce limier de bas étage.

Charbonneau n’était pas fâché de laisser sa hautaine cliente dans une sorte d’indécision qui ne pouvait être que pénible pour elle.

Il se moucha et repartit de sa voix la plus béate :

— Mon ami, M. Jules, m’a prié de me rendre auprès de madame la comtesse.

— Ah ! fit celle-ci en respirant plus à son aise.

— Et j’ai accepté ce mandat agréable, continua l’agent de police avec un de ses saluts les plus aimables, les plus doucereux.

— Un mandat ! dit Mme de Casa-Real étonnée ; je ne vous comprends pas, monsieur.

— Quand je me sers du mot mandat, c’est une manière de parler.