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Mouchette parlait de bon aloi.

M. Benjamin le comprit et continua :

— Que fais-tu cette nuit ?

— Ah ! pardon, ça… ça sort de la question. Parlons de vous, M’sieu Benjamin. Moi, je ne vous payerai pas pour vous occuper de mes affaires. Point n’est donc nécessaire d’en causer.

— Je voulais dire : as-tu une affaire qui te réclame dans la soirée ?

— Vous êtes curieux.

— Non.

— Je le sais bien, parbleu ! Voilà pourquoi je vous réponds : oui, j’ai quelque chose à faire.

— Alors, n’en parlons plus. Je me passerai de ton concours.

— Pardon, fit vivement le gamin, parlons-en. Je ne suis venu ici que pour ça.

— Si tu es occupé ?

— Je lâcherai mes occupations pour vous être agréable.

Au moment où Mouchette protestait de son dévouement inaltérable pour M. Benjamin, le fiacre s’arrêta.

Il y avait un embarras de voitures.

Les stores étant baissés, le gamin allait porter la main au ressort de celui qui se trouvait à sa droite, afin de le relever et de regarder la cause de leur arrêt.

Mais une tête de Robert-Macaire aviné, traversant le morceau d’étoffe rouge qui tenait lieu de store, lui épargna la peine qu’il était prêt à se donner.

Cette tête appartenait à un long corps qui, sans l’ombre d’un doute, avait absorbé pas mal de litres aux barrières les plus généreuses de Paris.

Un faux-nez d’un demi-pied en faisait le plus bel ornement.

Ce faux-nez eût empêché le père véritable de ce faux ami de maître Bertrand, de reconnaître sa progéniture.

Mouchette n’ayant point encore de rejeton, ne se fit pas la moindre illusion et n’eut pas le moindre scrupule, en allongeant un maître coup de poing à ce faciès indiscret qui criait de sa plus belle basse :

— Ohé ! les agneaux ! On s’amuse là-dedans. J’en suis.

— À l’œil ! avait répondu le gamin, en couchant le masque égaré sur le marchepied de la voiture.

Un éclat de rire de la foule lui apprit que le coup était bon.

Un juron formidable du Robert-Macaire barbotant au milieu du ruisseau lui fit reconnaître un de ses bons camarades.

— Filoche ! s’écria-t-il d’un ton tragique ! c’est Filoche !

— Qui ? Filoche ? demanda M. Benjamin, qui, moins ému encore, s’il était possible, que le fils de la Pacline, avait tout simplement mis la main sur la crosse d’un de ses jolis petits pistolets à deux coups, et qui attendait.

— Un ami ! un bon ! un fidèle ! répondit celui-ci. Vous voyez ce que je fais pour vous. Je lui ai collé un atout solide. Faudra mettre ça sur l’addition.

M. Benjamin tira un porte-monnaie de sa poche et il en vida la moitié à peu près dans la casquette de Mouchette.