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couloir secret dont lui seul avait la clef, il se trouva dans la rue des Noyers.

Comme de coutume, il gagna le boulevard du Temple et rentra chez lui.

Comme de coutume aussi, il changea de vêtements et redescendit peu d’instants après.

Seulement, ce jour-là, le double-six et le double-blanc n’eurent pas sur lui l’influence et l’attrait nécessaires pour lui faire traverser la chaussée dans la direction du café Turc, où ses joueurs ordinaires l’attendirent vainement.

Il tourna à droite, et suivit le boulevard du Temple, se dirigeant vers la porte Saint-Martin.

La fumée de son cigare voltigeait autour de sa tête, prenant les formes les plus fantaisistes.

Sa canne, vrai rotin de bâtonniste, décrivait des huits et des roses d’une vitesse fantastique dans les airs.

Ses lèvres, tout en s’humectant de l’arôme humide de son cigare, chantonnaient une chanson quelconque.

M. Jules, aux yeux de chacun, n’était pas autre chose qu’un brave employé, heureux de faire son dimanche.

Il badaudait, il flânait à ravir.

Tout était innocent dans sa personne, sauf son diable d’œil, qui ne pouvait s’empêcher, quoi qu’il en eût, de tourner à droite, à gauche, devant, derrière, et de regarder de temps à autre tout à l’entour de sa tête.

À la hauteur du café Hainsselain, au coin de la rue du Faubourg-du-Temple, l’ex-chef de la police de Sûreté se sentit suivi.

Pour lui, se sentir épier c’était l’être.

Cinq minutes après son doute se changeait en certitude.

Il ne se donna même pas la peine de marcher soit un peu plus vite, soit plus lentement, de rebrousser chemin ou de changer de trottoir, d’entrer dans une des nombreuses maisons du boulevard Saint-Martin qui toutes ont deux issues, l’une sur le boulevard même, l’autre dans la rue de Bondy.

Non pas.

Arrivé devant le théâtre de l’Ambigu-Comique, il s’arrêta, bien à son aise, tout naturellement, pour lire l’affiche du spectacle du jour.

On s’arrêta aussi.

M. Jules n’était pas homme à se laisser intimider ou surprendre.

Doué d’une force corporelle peu commune et d’une bravoure a toute épreuve, il ne s’étonnait de rien.

Rien ne l’effrayait.

Aussi son parti fut-il vite pris.

Faisant demi-tour à droite avec la plus magistrale lenteur, il se trouva nez à nez avec la personne qui semblait s’être donné la tâche de s’attacher à ses pas.

Cette personne était celle d’un ouvrier assez proprement endimanché.

Au mouvement de l’agent de police, qui était pourtant assez significatif, l’ouvrier ne broncha pas.

— Monsieur, dit le premier en ôtant poliment son chapeau, regarde l’affiche de ce soir, pour savoir à quelle heure commence le spectacle ?