Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/487

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— À me laisser voir le blessé ! fit l’agent, redevenant maître de la position, à son compte du moins.

— Oh ! voilà qui est bien une autre affaire ! répondit le médecin.

— Pardieu ! pensa l’autre, j’en étais bien certain, qu’il refuserait…

Puis, voulant pousser son adversaire jusque dans ses derniers retranchements, il ajouta :

— Et pourquoi donc cela ? Quelle difficulté ?

— Sa faiblesse, provenant de l’énorme quantité de sang qu’il a perdue. M. de Mauclerc se trouve dans un état de prostration complète ; depuis quelques heures, il n’a pas fait un geste ! Toute secousse pourrait lui devenir mortelle.

— Mortelle ?

— Je ne puis dire le contraire, dit le docteur avec impassibilité.

— Pauvre cher comte ! répliqua l’agent avec une compassion ironique : ainsi vous refusez de me le laisser voir ?

— Dame !

— Entrevoir seulement.

— Vraiment, je le regrette, mais…

M. Jules se frottait les mains, sans s’apercevoir que ce geste trivial de contentement n’était guère en situation.

Le docteur l’examinait du coin de l’œil.

— Pourtant… fit-il d’une voix timide.

— Pourtant ? demanda l’autre, qui chercha la signification de cette réticence, persuadé qu’il était de l’impossibilité où se trouvait le médecin de lui montrer son malade.

— Si vous y tenez…

— Oh ! beaucoup !

— Eh bien ! j’y consens.

— Ah bah !

Stupéfaction sans égale de la part de M. Jules.

— À une condition.

— Laquelle ?

— Dans le cas où le blessé viendrait à vous reconnaître, ce dont je doute…

— Et moi aussi…

— Dans ce cas, vous vous engagez sur l’honneur à ne pas lui adresser la parole…

— Ça, je le jure.

— Même s’il paraissait le désirer.

— Je m’y engage sur ce que j’ai de plus sacré.

— Par vous-même ?

— Par moi ! Ma foi, docteur, vous avez mis le doigt dessus… Voilà le seul serment que je respecte un peu.

— Respectez-le absolument, aujourd’hui, monsieur Jules, sinon, je vous le répète, vous compromettrez les jours de M. de Mauclerc !

— Ce pauvre ami !