Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/517

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— Voilà bien des soirées, déjà, que je viens à cette porte. Que de longues et douloureuses heures j’ai passées là, à vous attendre !

— Je vous jure…

— Ne m’interrompez pas, ajouta Edmée faisant une moue volontaire qui lui allait à ravir ; je veux d’abord que vous compreniez bien tout ce que j’ai souffert par votre faute, après je vous permettrai de vous défendre, de me répondre, de vous justifier !

— Parlez ! Parlez ! s’écria le jeune homme, qui la contemplait dans une douce extase.

— Oui… je suis venue chaque soir à cette même place…

— Où vous m’y avez envoyé… ? interrompit le comte.

Elle l’empêcha de continuer.

— Méchant ! c’est ce que vous auriez fait à ma place, sans doute. Mais moi, je n’agis pas de la sorte, quand j’aime. Et, vous le savez bien, quels que soient vos torts, je vous aime et je ne rougis pas de l’avouer.

— Je ne suis pas encore digne de cet amour, chère enfant, dit-il.

Et il voulut reprendre une de ces mains aux attaches fines, aristocratiques, qui venaient de lui échapper.

— Enfant ! moi, Noël ?

— Ah ! vous ne m’appelez plus : monsieur ?

— Si vous me le faites remarquer encore une fois, repartit-elle avec un peu de confusion, je vous le jure, d’ici à longtemps, votre nom ne sortira plus de ma bouche.

— Je me tais.

— Bien. Vous m’avez oubliée, avouez-le.

— Moi, vous oublier ! quand votre père…

— Mon père… mon père ! ce n’est pas de lui qu’il s’agit, s’écria-t-elle avec une légère impatience. De lui, je sais que vous vous, en occuperez à tous les instants de votre vie.

— Ingrate !

— Mais, en dehors de lui, il y a moi, que vous traitez comme si je n’étais pas votre vraie, votre sincère amie… d’autant plus votre amie que je serai un jour votre femme, comme je suis aujourd’hui votre obligée.

La jeune fille venait de prononcer ces mots, qui eussent gêné tout autre, avec une noblesse d’expression n’appartenant qu’à elle.

Le comte de Warrens fut sur le point de tomber à ses pieds, de baiser le bas de sa robe et de lui crier :

— Sois ma femme avant le moment fixé par ta volonté !

Mais tous les obstacles qui, en dehors de la résolution prise par Edmée, se seraient dressés infranchissables entre elle et lui, lui apparurent.

Il étouffa le mouvement passionné qui avait été sur le point de le pousser à une demande insensée, et se prenant le front à deux mains, concentrant toute son énergie dans cette minute, il rentra en lui-même.

La jeune fille, qui, dans se pureté, ne comprenait pas, ne devinait pas le combat livré en cette âme énergique par l’ardente passion de l’amant à la générosité de son défenseur, à la reconnaissance du champion de sa famille, le vit