Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/775

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Passe-Partout comprit qu’ils étaient en train d’enlever les meubles, de déménager sans tambour ni trompette, comme ils avaient l’habitude de le faire à chaque étape ; malgré tout son courage, il sentait les gouttelettes d’une sueur froide perler à ses tempes.

— C’est drôle, tout de même, reprit au bout d’un instant un des interlocuteurs, cette idée d’endormir un hommes tous les soirs pour le faire voyager.

— Imbécile !

— Pourquoi imbécile ?

— C’est clair comme le jour, pourtant.

— Je ne trouve pas, moi.

— Tu ne comprends pas qu’elle ne veut pas lui donner vent du lieu où on le conduit ?

Elle !

Passe-Partout avait bien entendu : Elle !

Plus de doute.

Il se trouvait entre les mains de son ennemie mortelle.

Il était bien le captif de la comtesse de Casa-Real.

Réunissant toutes ses forces, faisant appel à tout son sang-froid, à toute sa volonté, il écouta de nouveau en conservant les apparences du sommeil le plus profond.

L’interlocuteur du guichetier continua :

— Tu ne comprends pas ça ?

— Non.

— C’est cependant bien simple. Il en sera ainsi jusqu’à ce que nous arrivions là-bas.

— Là-bas ? où ?

— À la mer.

— Ah ! oui, que je suis bête !

— Tu le reconnais ! C’est heureux.

— Oui…, mais, dites donc, j’y pense. Il est marin, ce cadet-là.

— Eh bien ?

— Une fois à bord, il s’apercevra qu’il vient de quitter le plancher des vaches.

— Possible ! mais on le descendra et on l’enfermera dans la fosse aux lions, où le diable lui-même ne verrait goutte : et cela fait, je le mets bien au défi, si bon marin qu’il soit, de prendre son estime et de deviner où on le conduit.

À cette révélation inattendue, un frisson de terreur parcourut le corps du comte de Warrens.

Par un effort désespéré, il parvint à conserver son apparence froide et impassible.

Bien lui en prit.

Un de ses gardiens avait toujours l’œil fixé sur son visage.

D’ailleurs, il comprit que son allié le porte-clefs avait certainement un but en causant ainsi avec ses camarades.