Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/804

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Se blottissant alors derrière les charrettes et les charrues, amoncelées, ils attendirent avec impatience le second signal, qui devait être celui de l’attaque.

Dans l’intérieur de la ferme, tout continuait à être calme.

Les lumières éteintes, le silence absolu témoignaient de la profonde tranquillité des hôtes qui l’habitaient.

Une seule lampe brûlait encore dans une salle basse et enfumée, où une quinzaine d’individus à faces patibulaires étaient réunis et dormaient ou s’efforçaient de dormir, couchés ou pour mieux dire étendus pêle-mêle sur des bottes de paille, leurs armes placées à leur portée.

Un homme, l’épaule appuyée contre le chambranle de la porte, veillait seul, le fusil à la main, à la sûreté commune.

Une seconde sentinelle avait d’abord été placée à la porte du pavillon servant de prison à Passe-Partout.

Il y en avait, eu une troisième posée sous sa fenêtre.

Toutes les précautions étaient bien prises.

Mais comme le vent et la pluie faisaient rage, que le froid sévissait vivement et surtout qu’ils se croyaient certains de n’avoir rien à redouter du dehors, ces deux factionnaires, se fiant d’ailleurs à la sentinelle de la salle basse, avaient ouvert la porte du pavillon et, s’asseyant confortablement côte à côte sur la première marche de l’escalier, ils n’avaient pas tardé à s’endormir, le fusil entre les jambes, à l’abri de la tempête.

Le soir, vers les huit heures, ainsi que l’avait fait entendre le petit gars au vicomte René de Luz, la vindicative créole avait quitté la ferme, suivie de deux de ses serviteurs les plus dévoués.

Elle se rendait à toute bride au Havre pour veiller aux apprêts du départ.

Elle voulait appareiller le lendemain même.

En partant, la comtesse de Casa-Real avait laissé le commandement de la ferme à son majordome, Marcos Praya.

Elle devait être de retour à quatre heures du matin, au plus tard.

De la sorte, on embarquerait facilement le prisonnier avant le lever du soleil, précaution importante, afin de ne pas éveiller la curiosité des passants ou des ouvriers du port.

Marcos Praya avait répondu du prisonnier sur sa tête.

La comtesse partait tranquille.

À neuf heures du soir, Marcos Praya, par acquit de conscience, fit une ronde dans la ferme, pour s’assurer que tout était en ordre.

Chacun était à son poste.

Il rentra dans sa chambre, confiant dans la tranquillité de la nuit prochaine.

Depuis l’enlèvement, depuis la disparition de leur chef, les Invisibles avaient manœuvré avec tant d’adresse, avec une si grande prudence, leurs mesures avaient été prises avec une si profonde dissimulation, que la comtesse de Casa-Real pouvait, sans trop de présomption ni de naïveté, espérer leur avoir donné le change.

Elle les tenait pour dépistés.

Marcos Praya, l’âme damnée de la créole, lui était dévoué jusqu’à la corde