Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/901

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comparé qu’aux maquis de la Corse, c’est-à-dire qu’il n’offre qu’un abri insuffisant à ceux qui s’y réfugient.

Voilà pourquoi la caravane avait dû en sortir, afin que, se trouvant à découvert et ayant de l’espace devant elles, les sentinelles pussent surveiller mieux les environs.

Les voyageurs, accablés de fatigue, entendirent avec un cri de joie l’ordre donné par le métis de faire halte, et pour un instant ils semblèrent avoir recouvré toute l’énergie qu’ils avaient presque perdue.

— Nous sommes encore à plus d’une lieue de la caballeriza, fit observer à voix basse ño Benito à Marcos Praya pendant que les cavaliers s’occupaient avec une ardeur fébrile à établir le campement de nuit.

— Qu’importe ? répondit celui-ci sur le même ton.

— Beaucoup plus que vous ne le supposez, señor caballero. Prenez-y garde, il vaudrait mieux continuer à marcher pendant une heure ; la manada est campée au milieu de ce bouquet d’arbres que vous pouvez facilement apercevoir d’ici, reprit l’arriero mayor avec insistance.

— Je le vois, cher señor Benito, mais c’est bien loin encore, fit le métis avec un soupir de découragement, et nos hommes sont rendus de fatigue et d’épuisement.

— Oui, señor, c’est vrai, mais là-bas il y a un puits.

— C’est malheureux, mais maintenant il est trop tard pour nous y rendre ; mieux vaut n’en point parler davantage ; voyez, l’enceinte est déjà presque terminée, la tente de la señora est dressée et on allume les feux de veille. Bah ! après tout, une nuit est bientôt passée, compadre ; demain nous déjeunerons là-bas.

Quien sabe ? fit l’arriero mayor en hochant la tête.

Le campement établi, la joie sembla un peu renaître parmi les membres de la caravane, vieux aventuriers pour la plupart, qui, avec leur insouciance native, dès qu’ils faisaient halte enfin, oubliaient les misères passées et celles à venir pour jouir des quelques heures de repos qui leur étaient accordées.

L’espiègle Anita, la camériste favorite de la comtesse, s’approcha alors de Marcos Praya et de l’arriero mayor, et, de la part de sa maîtresse, elle les invita à partager le repas du soir.

Les deux hommes s’inclinèrent respectueusement et suivirent la jeune fille.

Chose étrange et cependant bien réelle, tandis que tous ces hommes, si vigoureusement trempés et accoutumés de longue date à la vie du désert, tombaient les uns après les autres autour d’elle, la comtesse de Casa-Real semblait n’avoir souffert en rien des fatigues et des privations sans nombre que cependant elle avait amplement partagées avec ses compagnons.

Ce corps si frêle, si mignon et si délicat, qui en apparence aurait dû être flétri, brisé et anéanti brutalement au premier choc de l’adversité, avait vaillamment lutté et était sorti vainqueur de la lutte.

Le moral avait dompté le physique.

La volonté de fer de la comtesse, son énergie surhumaine, avaient brisé tous les obstacles.

Elle était aussi belle, aussi calme et aussi souriante en ce moment au