Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/917

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— Mais il est plus de dix heures du soir, monsieur le comte, la pluie tombe à verse en ce moment, il tonne, la nuit est sombre, le temps est réellement affreux.

— Il faut que je sorte ; va, mon enfant, dit-il affectueusement.

Mouchette ne répliqua pas et sortit en baissant la tête.

Au bout d’un instant, M. Saturne, le valet de chambre, entra.

Le comte lui fit un signe.

Le nègre, toujours impassible, froid et silencieux, habilla son maître.

Le comte aurait pu prévenir ses amis ; il ne le voulut pas !

Il était résolu à répondre à un guet-apens par la loyauté.

Pourquoi ?

La raison en était simple.

Parce que la lettre était entièrement de la main d’Edmée, qu’elle était signée par elle, et que le comte avait juré à la jeune fille de ne jamais douter d’elle.

Avec ce fanatisme de l’amour, à notre avis la plus absurde et en même temps la plus noble et la plus belle des passions humaines, il voulait à tous risques tenir son serment ; bien qu’il eût, nous le répétons, la conviction intime que cette fidélité à sa parole, sur laquelle ses ennemis comptaient sans aucun doute, pouvait probablement être cause de sa mort.

Mais, si le comte était résolu à mourir au besoin, pour faire honneur à sa parole, il ne voulait pas du moins se laisser bénévolement égorger, ni succomber sans vengeance.

Aussi prit-il toutes ses précautions en conséquence.

Aussitôt que M. le comte de Warrens fut habillé, il congédia d’un geste M. Saturne, son valet de chambre qui, selon son habitude, se retira sans mot dire, puis il s’approcha de la muraille où ses armes étaient accrochées et formaient un magnifique trophée, et les examina pendant un instant.

Il choisit deux paires d’excellents revolvers à six coups de Colt qu’il chargea avec soin et passa à sa ceinture.

Cela lui donnait tout d’abord, en cas d’attaque, vingt-quatre coups de feu à tirer.

Cette précaution d’ailleurs n’avait rien d’insolite ; à cette époque, tout le monde marchait armé jusqu’aux dents, à San-Francisco, surtout lorsqu’il s’agissait de faire une course de nuit dans un quartier perdu ; aujourd’hui même, il en est encore ainsi ; l’Américain ne marche jamais sans ses armes.

Le comte choisit ensuite un excellent poignard à lame droite et effilée comme une langue de vipère ; il mit ensuite un solide casse-tête dans sa poche de côté, et finalement il prit une canne à épée ; puis il s’enveloppa soigneusement d’un manteau pour cacher cet arsenal terrible, et il se prépara à sortir.

Armé d’une façon aussi formidable, le comte de Warrens, brave comme un lion, doué d’une force extraordinaire, d’une adresse remarquable et, de plus, déterminé à ne pas reculer d’un pouce, n’était certes pas un ennemi que l’on pût facilement affronter sans péril.