Aller au contenu

Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est une innocente ! se disaient entre eux les boucaniers avec une tendre pitié.

Ces rudes natures s’étaient émues devant tant de candeur et de naïve simplicité. Tous ils aimaient et respectaient la jeune fille ; ils éprouvaient pour elle au fond de leurs cœurs, ce sentiment de mystérieuse vénération que l’homme ressent presque instinctivement pour ceux que Dieu semble avoir placés sous sa garde spéciale, en les privant de cette faculté intellectuelle dont il a doté la foule ; et qu’il condamne ainsi presque toujours à traverser la vie sans en comprendre ni les joies ni les angoisses ; n’existant que par le rêve, et tendant malgré eux vers l’infini.

Fleur-de-Mai était ainsi devenue un être privilégié pour ces hommes féroces ; leur sollicitude était sans bornes, presque paternelle ; des sentinelles invisibles veillaient continuellement à sa sûreté ; elle pouvait ainsi, malgré sa beauté, s’égarer à sa guise à toute heure de jour et de nuit sous le couvert, sans craindre la moindre insulte. Malheur à qui aurait osé lui manquer de respect ; il aurait payé ce crime de sa vie.

Les boucaniers, gens pour la plupart ignorants et surtout superstitieux, s’imaginaient que cette chaste enfant, jetée par la Providence dans leur enfer, leur portait bonheur. La rencontrer, en obtenir un mot, était un gage assuré de succès pour les entreprises qu’ils méditaient ; un reproche tombé des lèvres de l’innocente, les faisait rentrer en eux-mêmes et presque devenir meilleurs ; en un mot la Vierge aux fleurs, ainsi qu’ils s’étaient plu à la nommer, était à son insu devenue le véritable Palladium de la grande association flibustière ; elle comptait autant de fervents admirateurs et de défenseurs dévoués, qu’il y avait de frères de la Côte.

Telle était la jeune fille qui avait entr’ouvert la porte du salon et était apparue à l’improviste aux regards émerveillés des trois flibustiers réunis dans un sinistre conciliabule.

Les trois hommes se levèrent, ils mirent à la main