Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/302

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— Tu me répondras ?

— Sur l’honneur.

— Pourquoi m’as-tu raconté cette histoire ?

— Parce qu’elle est vraie.

— Tous ces détails sont exacts ?

— De la plus rigoureuse exactitude.

— Tu en as été témoin ?

— Ces faits ce sont passés devant moi.

— Merci, matelot : dit-il en lui tendant la main ; mais ce n’était pas la peine de chercher ainsi dans tes souvenirs, et peut-être de raviver d’anciennes blessures ; je ne suis pas un enfant qui se livre à de faux mirages, mais un homme accoutumé à souffrir.

— Que veux-tu dire, matelot ? je ne te comprends pas ?

— Alors je m’expliquerai, reprit-il avec tristesse ; je t’ai remercié, parce que en me parlant ainsi que tu l’as fait, ton intention était bonne ; tu as voulu me prouver la folie de mon amour ; me donner d’une manière détournée le conseil d’y renoncer, en me faisant voir clairement que le mystère dont ma naissance est enveloppée ne se dissipera jamais ; que toujours je serai un misérable, sans nom, sans famille, sans patrie ; que du fond de l’ignominie où je suis plongé sans espoir d’en sortir, à moins d’un miracle impossible, je suis un insensé d’oser lever les yeux sur la fille d’un homme que sa noblesse et sa fortune ont presque assis sur les marches d’un trône.

— Matelot ! s’écria Vent-en-Panne.

— Tout cela, et plus encore, je me le suis dit, matelot, continua le jeune homme avec un sourire navrant ; jamais, sache-le bien, je ne me suis fait la plus légère illusion sur le sort réservé à cet amour ; j’aime cette jeune fille, comme un avare aime son trésor, pour l’adorer et la contempler à distance ; pour m’enivrer des sourires quelle sème sur son passage, des parfums qui s’exhalent de sa personne, du son harmonieux de sa voix qui me cause des éblouissements. Oui, tout cela est vrai ; cet amour, c’est ma vie, c’est ma