Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/48

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— Vous trouvez ! regardez là, tenez, voyez-vous ce canot ?

— Je le vois, après ?

— L’homme qui le monte est un corsaire barbaresque auquel je vous ai vendu.

— Et à qui vous allez me livrer ?

— C’est cela même.

— Monsieur le comte, dit-il froidement, en regardant son ennemi bien en face, vous avez eu tort de ne pas me tuer.

— Ah ! pourquoi donc cela, cher monsieur de Montlaur ?

— Parce que vous avez dépassé le but : Vous m’avez marqué, c’était horrible ; vous me vendez, c’est maladroit. Il n’y a que du tombeau que l’on ne peut s’échapper. Un jour, dans bien longtemps peut-être, je m’échapperai, et nous nous retrouverons face à face !… alors !

— Alors ?…

— Ce sera mon tour ; vous même l’avez dit : la vengeance se mange froide. Je m’en souviendrai.

Le comte fronça le sourcil, fit un ou deux tours sur le pont, et, revenant à son prisonnier, toujours immobile et calme à la place où il l’avait laissé :

— Eh bien ! soit ! Vengez-vous si vous le pouvez, dit-il d’une voix sourde, mais prenez-y garde, je ne suis pas facile à surprendre ?

— Le plus prudent s’endort, dit froidement le prince.

— Voici le canot qui accoste, monsieur, reprit le comte avec ironie ; je suis contraint, à mon grand regret, de rompre notre conversation.

— En effet, monsieur, répondit le jeune homme sur le même ton ; mon nouveau maître monte sur le pont de votre navire ; ne vous gênez pas, nous reprendrons cette conversation peut-être plus tôt que vous le supposez.

— Quand on est esclave en Afrique, on ne s’échappe pas : on est mort.