Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/83

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que le ciel prend plaisir à déjouer tous nos projets, et à faire de nous le jouet des événements les plus singuliers ! Notre position n’a semblé s’améliorer un instant que pour devenir tout à coup plus affreuse qu’auparavant.

— Je ne partage pas cette opinion, répondit Chanteperdrix. Je ne vois pas en quoi notre position a empiré ; s’il m’est permis de donner franchement mon opinion, je dirai même, que je la crois meilleure en ce moment, qu’elle n’a jamais été.

— Est-ce parce que nous avons acquis la certitude de la mort tragique de ce drôle, et que nous sommes ainsi délivrés de la crainte de ses trahisons ?

— Quand il n’y aurait que cela, Chat-Tigre, ce serait déjà quelque chose. Mais je vais plus loin. Je pense que ce cadavre en venant sottement danser dans le sillage de la pirogue, comme un farfadet sur la bruyère, nous a rendu un véritable service ; voici pourquoi : Je n’étais pas, je l’avouerai, sans inquiétude sur la façon dont nous pourrions aborder la côte française de Saint-Domingue. Les flibustiers sont gens hardis et surtout clairvoyants et rusés comme des singes. Nous avions quatre-vingt dix chances sur cent, pour que la pirogue fût surprise en approchant de Port-Margot ou de Leogane ; alors adieu la réussite de nos projets ; notre procès aurait été fait en un clin d’œil ; nous aurions été pendus sans rémission.

— Tandis que maintenant ? fit le Chat-Tigre en ricanant.

— Maintenant la situation est complètement changée. Si nous tombons aux mains des Espagnols, nous leur montrons la cédule que nous a donnée le gouvernement de Cuba ; si au contraire, ce qui est très-probable, dans les débouquements nous faisons la rencontre de quelque pirogue flibustière, eh bien ! nous sommes Français, aventuriers ; nous serons bien sots, si nous ne réussissons pas à donner le change à nos nouvelles connaissances, et à leur prouver que nous sommes des leurs.