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Le Miracle des trois dames de village


Deux dames sont en visite, chez Madame Meillant, dans une maison isolée, à la sortie du village. C’est le début d’une longue soirée de février. Depuis ce matin, comme une troupe d’hommes refoulés qui mettra tout le jour à s’écouler, le vent passe, chargé de neige. À la fenêtre basse, qui donne sur le jardin, les branches secouées d’un rosier sans feuilles battent la vitre, par instants.

Dans leur salon fermé, comme dans une barque amarrée au milieu du courant, ces femmes parlent du temps. Ce sont trois jeunes dames, les plus pauvres du bourg. Madame Henry, la plus jeune, est celle qui a sa joue contre la fenêtre. La lumière du dehors, qui rejaillit sur l’appui mouillé de la croisée, vient doucement, dans l’ombre du salon, dessiner son profil.

« Quand ma sœur était petite, dit-elle, son grand désir était d’aller dehors par ces temps de grand vent et de neige. Maintenant encore, quand la neige se pose sur toutes les choses de la plaine, ou lorsqu’il pleut indéfiniment jusqu’au bout des paysages, elle voudrait être à la place du mécanicien qui voyage au milieu de l’averse, enfermé dans sa maison de vitres…

— Que fait-elle donc aujourd’hui ? Pourquoi n’est-elle pas venue ?

— Elle est restée chez nous. Elle achève sa toilette. Depuis longtemps, nous y travaillons chaque soir. Si vous saviez comme elle sera belle ! »

Avec quel amour craintif, elle parle de cette petite sœur romanesque ! Comme elle se rappelle précieusement ses moindres mots d’enfant ! Pourtant il s’agit d’une jeune fille qui a couru déjà plus d’une aventure coupable. Madame Henry a tout caché.