corps humain. Quant à l’homme de la nature, qui va tout seul à la chose, et sans connaître aucun signe, sans en essayer aucun, c’est un être fantastique, qui n’est jamais né.
L’homme réel est né d’une femme ; vérité simple, mais de grande conséquence, et qui n’est jamais assez attentivement considérée. Tout homme fut enveloppé d’abord dans le tissu humain, et aussitôt après dans les bras humains ; il n’a point d’expérience qui précède cette expérience de l’humain ; tel est son premier monde, non pas monde de choses, mais monde humain, monde de signes, d’où sa frêle existence dépend. Ne demandez donc point comment un homme forme ses premières idées. Il les reçoit avec les signes ; et le premier éveil de sa pensée est certainement, sans aucun doute, pour comprendre un signe. Quel est donc l’enfant à qui on n’a pas montré les choses, et d’abord les hommes ? Où est-il celui qui a appris seul la droite et la gauche, la semaine, les mois, l’année ? J’ai grand’pitié de ces philosophes qui vont cherchant comment la première idée du temps a pu se former par réflexion solitaire. Êtes-vous curieux de connaître les idées du premier homme, de l’homme qui n’est jamais né ? Le développement, à la bonne heure ; mais l’origine, non. Et justement je tiens ici une notion importante qui concerne le développement. Sans aucun doute tout homme a connu des signes avant de connaître des choses. Disons même plus ; disons qu’il a usé des signes avant de les comprendre. L’enfant pleure et crie sans vouloir d’abord signifier ; mais il est compris aussitôt par sa mère. Et quand il dit maman, ce qui n’est que le premier bruit des lèvres, et le plus facile, il ne comprend ce qu’il dit que par les effets, c’est-à-dire par les actions et les signes que sa mère lui renvoie aussitôt. « L’enfant, disait Aristote le Sagace, appelle d’abord tous les