Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/122

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ments, tout y étant étalé, sans aucun mystère ramassé, sans aucun embryon de pensée, qui serait désir, tendance ou force. Que tout mouvement est mécanique seulement, et toute matière, géométrique seulement. Qu’il ne faut donc point s’arrêter aux mouvements du chien qui reconnaît son maître ; qu’au reste, les passions de l’homme, colère, envie, haine, imitent encore bien mieux la pensée et le raisonnement quoiqu’il soit fou de s’y laisser prendre, car il n’y a là-dedans ni jugement, ni connaissance, ni preuve, mais seulement des gestes et du bruit. Qu’ainsi il ne faut point dire du tout que les animaux pensent, puisque la seule preuve, qui serait qu’un chien rêvât devant un triangle tracé par lui, manque tout à fait. Et pour combien d’hommes cette précaution n’est-elle pas bonne aussi ? Mais il y a bientôt trois siècles que le portrait de Descartes attend que l’on comprenne, sans espérer trop.

NOTE

Cet éloge de Descartes est évidemment insuffisant. On ne peut le compléter qu’en étalant en bon ordre toutes les pensées de Descartes. Qu’y a-t-il là-dessus à retenir pour l’apprenti ? Je crois que le principal est le célèbre « Je pense donc je suis » qui fonde la vérité des pensées comme pensées ; c’est le monde où le philosophe est maître de ses combinaisons. C’est alors qu’il pense sa pensée, ce qui est proprement philosopher. Une autre idée de grande portée, c’est celle-ci que, par opposition à la pensée, se trouve définie la matière du monde, comme un mouvement de corpuscules. L’animal-machine en est un exemple fort disputé ; l’important est de comprendre que cela est évident pour Descartes pensant. Par là l’existence est définie, c’est-à-dire la nature ; et Descartes est un de ceux qui ont refusé de supposer quelque pensée enfermée dans la chose. Aristote croyait qu’un astre se conduit lui-même d’après des pensées ; c’est la théologie étendue à tout. Descartes a résolu