Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/189

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que le rythme et le chant, surtout en commun, nous éveillent beaucoup plus profondément que le sens ordinaire des paroles ne le voudrait. D’où vient que la poésie et l’éloquence soutiennent si bien les preuves. Mais le jeu de mots, la réponse imprévue et attendue en un sens, ce que l’on appelle enfin l’esprit et le trait, comptent encore beaucoup dans les discussions les plus serrées, et bien plus même qu’on n’ose l’avouer. Que dire alors de ces éclairs de logique, de ces formes entrevues, de ces imitations et symétries, premières parures de toutes les religions, premières esquisses de toute théologie ? Tout s’unit ici, le jugement et les passions, pour chercher avidement un sens à cette musique plus subtile, dont les sophistes dans Platon nous donnent assez bien l’idée. Et le style plus sévère en garde quelque chose, plus émouvant par la surprise. Oui, plus la forme est nue, plus ces rapports de mots sont frappants.

Le portrait d’un homme lui ressemble ; si vous frappez le portrait vous blessez l’homme, par cette ressemblance. L’épée du roi est la reine des épées. Ce n’est pas au hasard que Gœthe fait dire à Méphistophélès : « Vin vient de raisin, raisin vient de vigne, vigne est bois ; le bois peut donner le vin. » C’est le thème de toutes les incantations. Les croyances de coutume sont plutôt animales ; ce qui est humain c’est la preuve parlée. Toutes ces étranges superstitions des primitifs, si amplement étudiées, ressemblent plutôt à la théologie abstraite et déductive qu’à des inductions précipitées. Toute magie est une dialectique. Il ne faut donc pas s’étonner si toute dialectique est magie encore. Je lisais hier ce vieil argument, pour les peines éternelles, que Dieu étant infini, l’offense l’est aussi, et que donc la peine doit être infinie. Ce trait a terminé plus d’une discussion ; ce n’est pourtant qu’un jeu de mots. En