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religions sont des faits universels, à caractères constants, pour conclure que les premières idées, qui naturellement déterminent en partie toutes les autres, sont toujours prises du milieu humain. Ajoutez à cela que toute idée est d’abord commune, et entre d’abord en moi comme opinion, et non comme vérité. Par ces remarques vous commencerez à comprendre la puissance que prend naturellement pour chacun de nous l’idée qu’il se fait du jugement d’autrui. Ce n’est pas peu, dans la conduite de ma vie, que de me sentir obligé à faire, à dire et même à penser ce que je crois que les autres attendent de moi, vengeance ou pardon.

CHAPITRE XV

LE MOI

Tout change en moi sous mon regard et par mon regard. Et l’on voudrait maintenant expliquer comment je me saisis et comment je me reconnais, en ce contenu où le rêve le plus absurde peut rester attaché aux perceptions les plus raisonnables, où la superstition résiste autant que les idées, où tant de souvenirs sont oubliés, tant d’autres décolorés, où tout change enfin par le temps et l’âge. Mais il se trouve que le problème n’a point de sens, et que je n’ai pas à me retrouver, parce que je ne puis me perdre moi-même un seul instant. Toute pensée, confuse ou claire, de doctrine, de sentiment, de chose, de vision, de résolution, d’hésitation, de négation, de doute, de souvenir, de remords, d’espérance, de crainte, vraie ou non, durable ou non, en rêve