simplement à la sottise n’est certainement pas d’y toujours penser. En revanche, croire que l’on est sauvé du mensonge ou de l’envie, ou de la brutalité, ce n’est pas un faible secours. Par ces causes, l’autorité des prophètes n’est pas près de finir.
Mais ces croyances vivent sur un fonds plus riche. Chacun est prophète de soi à soi. Car nos actions d’instinct, par le mécanisme qui a été décrit ci-dessus, commencent d’elles-mêmes, et sont perçues en même temps. Le mouvement hardi s’annonce par allégresse, qui n’est que sentiment de l’éveil des muscles nourris et reposés ; la colère s’annonce par crispation en tumulte, chaleur du sang, souffle, cris, paroles ; la peur, encore mieux. Toutes les démarches de l’ambition, de l’amour, de la vanité nous sont prévisibles à la manière des mouvements d’autrui, avec cette différence que nous les prenons en main et les dirigeons et les poussons à l’achèvement à mesure que nous les nommons, ce qui fait que cette prophétie de soi à soi ne manque jamais d’être vérifiée ; car le jugement éclairé, qui nie l’âme de ces choses, et les renvoie, comme il faut, à un mécanisme fortuit, veut un long détour de doctrine que l’expérience de l’âge ne remplace nullement. Ainsi comme l’instinct est le premier objet de l’esprit, le fatalisme est aussi sa première doctrine. Le héros d’Homère dit naïvement : « Je sens dans mes pieds et mes mains, je sens qu’un dieu me pousse. » L’animal pensant doit passer par cette idée-là.