est sans mesure. Et tout pouvoir royal, j’entends par majesté, ennuie celui qui l’exerce.
L’ambition humiliée ne s’ennuie pas. Elle désire, attend, intrigue, tremble, enrage, et adore d’autant plus. Le métier de dieu n’est pas difficile ; il n’y faut qu’une majesté passable, et faire attendre quelque faveur, grande ou petite. C’est l’adorateur qui divinise, par cette belle peur qu’il a toujours de ne pas trouver ce qui pourrait plaire. L’aisance et la simplicité, même par simple politesse, diminuent les souffrances de l’ambition et ses joies aussi. Au contraire, un peu de sauvagerie mêlée à l’ambition rend les succès plus enivrants et les échecs plus cruels aussi. Car le solliciteur se craint lui-même et se comprime, à grands efforts de ses muscles, et se travaille d’avance ; de là ces peurs de candidat et d’acteur, mais propres à l’acteur, qui viennent de ce que l’on veut paraître. La condition du menteur est de surveiller et contrarier ses mouvements naturels, ce qui exige un grand effort de contracture, jusqu’à gêner les fonctions de la vie. De là vient cette rougeur, pour un mensonge à l’improviste. De là aussi, avant le mensonge étudié, cette peur de soi, ce tremblement, cette fiévreuse attente. Dont le dieu profite ; car le solliciteur attribue toujours ce trouble à la majesté du dieu, et non aux vraies causes. Il faut toujours que les mouvements du corps signifient et annoncent, et toutes les passions viennent de là. L’ambitieux, dès qu’il se livre aux puissances, arrive aussitôt à les craindre et de là à les envier. Ainsi le roi donne du prix aux faveurs, et la crainte au roi.
Il y a donc une coquetterie des puissants, dans l’art de donner audience. Beaucoup y sont pris ; le plus sage est de n’y point aller, ou d’être insolent si l’on ne peut mieux. Mais qu’il est facile de ne rien demander ! Au lieu que, ce que l’on a demandé, bientôt on le désire.