rait parce que ce travail perdu serait comme un bien dérobé à tous, en sorte que, par ce caprice, il y aurait moins de légumes, moins de vêtements, moins de meubles, enfin moins d’objets utiles dans le monde, et sans remède ; cela équivaudrait à brûler des meules de blé ou des magasins d’habillements ; et il est clair que, si on brûlait tout ce qui est utilisable, ce serait une grande misère pour tous, quoique cette folie procurât comme on dit du travail à tout le monde. Ces circonstances supposées font bien comprendre que les hommes ont besoin de produits et non pas de travail, et que faire travailler en vain c’est dissiper la richesse commune.
Or le riche a cette puissance, et même sans passer pour fou ou méchant, attendu qu’il trouve tout établis des métiers fort difficiles, comme tailleurs de diamants, brocheurs d’étoffes, dentellières, brodeuses, dont les ouvriers ne vivraient point sans lui. Et les produits de ce genre ont presque toujours une beauté, même pour les yeux et sans la possession, qui fait croire qu’ils sont faits pour la joie de tous ; mettons qu’il y ait un peu de vrai là-dedans. Disons enfin que ces vains ornements, qui sont comme le signe de la richesse, sont plus souvent enviés que méprisés, ce qui, en aggravant la misère par les passions, cache presque toujours à tous les yeux la véritable source de l’injustice. Ainsi on déclame sur l’injuste répartition des richesses, au lieu de blâmer l’usage injuste que beaucoup de riches en font, ce qui est pourtant la véritable et la seule injustice. Certes ce n’est pas mal penser que de désirer un certain luxe pour tous, et surtout une familiarité de tous avec de belles choses ; mais ces jouissances, en bonne justice, supposent l’aisance pour tous ceux qui travaillent de leurs mains. Ce jugement rectifié ne changera pas beaucoup la vie d’un industriel, d’un banquier, d’un riche cultivateur ; il changera quelque chose peut-être