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quelque objet scandaleux, même imaginaire, la cérémonie est troublée en un seul homme ; de là une haine impatiente, portée par ces mouvements du cérémonial ; et, au sentiment de cette force extérieure toute prête, se joint une honte bien forte, et la peur d’un scandale plus grand. Voilà le premier mouvement d’une indulgence à soi dans la solitude, et d’une méditation où la peur de soi-même et l’ambition font un mauvais mélange. Les signes et présages s’y joignent, et notre malheur est que la résistance mal éclairée les multiplie jusqu’à ce que l’idée fataliste, toujours vérifiée par les doutes sans certitude vraie, termine enfin cette passion comme elle les termine toutes. Et ce genre de crime est presque toujours sans complice et sans confident.

CHAPITRE IX

DE LA POÉSIE ET DE LA PROSE

Je ne sais pas bien lire les poètes. Je vois trop les hasards de la rime, les répétitions et les trous bouchés. Je les ai mieux compris en me les faisant lire. J’étais pris alors par ce mouvement qui n’attend pas ; j’oubliais les redites, je n’avais même pas le temps d’y penser ; et la rime me plaisait toujours, par la petite crainte que j’avais à chaque fois ; car il semble toujours impossible qu’un vers que l’on entend soit fini comme il faut ; ce mouvement qui n’attend pas donne l’idée d’une improvisation. Je ne connais que les vers pour m’emmener ainsi en voyage. Il n’y a pas ici de préambule ni de précautions ; je sens que je pars ; même les premiers