Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/96

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C’est pour cette raison peut-être que Platon veut appeler serviles tous les métiers manuels. Il est assez clair que, par une pratique victorieuse, les idées sont bientôt mises au rang des outils, comme l’histoire de la télégraphie sans fil le fait bien voir. Et donc il faut réagir contre cette idée trop aisément admise que l’expérimentation est la reine des méthodes. Il faut seulement faire la part des œuvres et des outils dans la recherche expérimentale. Mais il faut aussi que l’outil et la main s’arrêtent et que l’esprit interroge la nature déliée.

Ainsi est-on ramené à l’idée de l’observation pure et simple, qui n’a trouvé d’abord à s’exercer que sur les spectacles du ciel, parce que l’homme n’y peut rien changer. C’est là que l’homme a appris à former par méditation et interrogation muette l’idée même de la chose. Non sans volonté, non sans obstination, non sans un sentiment juste, c’est que la chose n’y pouvait rien de plus, et que la vérité de la chose était entièrement à faire, et par décret. Celui qui inventa la sphère céleste, le pôle et le méridien ne changea rien dans le monde, mais il en fit déjà apparaître l’ordre et les lois. Serviteur en un sens, dompteur en un sens. Tel est le double mouvement de Thalès immobile.

NOTE

Ne laissez pas échapper l’idée. Observer, c’est percevoir avec attention. Expérimenter, c’est changer la chose pour voir ce qui résultera du changement. C’est pourquoi je dis que l’observation pure et séparée fut celle des astres, auxquels nous ne pouvons toucher. Et encore faut-il distinguer l’astronomie armée d’instruments, qui en un sens peut changer l’objet ; par exemple je grossis l’image de la lune. Et la vraie astronomie c’est celle des Chaldéens, avec les yeux seulement. (Tycho-Brahé, au temps de Képler, était célèbre pour ne vou-