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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/170

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

cas que je ne verrai point, car je serai tué. » Mais l’homme devait pouvoir montrer ses blessures. Dans la bouche de celui qui n’a point combattu et qui certainement ne combattra point, ce genre de serment ferait pitié. Mais ne tendons point, comme disait l’autre, nos filets trop haut. Ce qui fut dit en notre nom est encore bien au-dessous de la rhétorique la plus facile ; et cela va si droit contre la sagesse la plus commune que la critique y trouve à peine où se prendre.

On peut ignorer tout des jeux de la force ; on peut avoir lu l’histoire sans surmonter les mots et sans soupçonner les choses mêmes ; mais qu’un homme qui a seulement vécu puisse borner là ses pensées, cela n’est point vraisemblable. Mais enfin cela est. Où l’on est attaché, il faut brouter ; et prendre les liens de société comme des faits. Si les hommes qui pensent ainsi sont le plus grand nombre avec nous, il faudra se battre pourtant à côté d’eux. Cela c’est le strict devoir, et c’est aussi clair qu’un coup de poing. Mais rien au monde ne m’oblige à les approuver, ou seulement à faire silence quand ils improvisent, sans aucun risque pour eux, et à grand risque pour nous tous, des discours d’enfant.

Ne rougissons point d’examiner. Est-ce que ces provinces n’ont pas été reprises à l’ennemi ? Est-ce que la chose fut facile ? N’importe quel soldat, et le plus simple même des hommes, pensera aussitôt aux retours de fortune. Ce que la force a fait, la force le peut défaire. Et la sagesse populaire a toujours redouté, comme un mauvais présage, ces déclamations d’un fol orgueil, qui semblent défier les dieux. Mais jugeons par les causes. S’il est un moyen de

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