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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/18

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INTRODUCTION

essentielle, que Maurois avait intérêt à ne pas faire : il ne veut pas confondre le pouvoir qui résulte d’un prestige sur les hommes et celui que donne la connaissance des choses. Même parmi les chefs militaires, on peut distinguer les Magiciens qui se font suivre par enthousiasme, des Ingénieurs qui se font obéir par approbation. Un Murat, un Nivelle, un Mangin sont surtout magiciens. Un Kitchener, un Pétain sont avant tout ingénieurs. Et l’on devine où vont les préférences d’Alain. Car il admet bien que les charmeurs d’hommes puissent faire exécuter des miracles, mais il en reporte les mérites sur les exécutants. Et il sait surtout — ce que Maurois n’a fait qu’indiquer en blâmant chez quelques grands chefs l’oubli des possibilités — combien l’habitude de commander sans discuter peut gâter l’esprit et le caractère. Le pouvoir absolu gâte presque toujours qui le possède :

« Être salué d’une certaine manière est un mal dont on ne se relève jamais tout à fait. L’expérience fait voir aussi que les tempêtes de l’humeur sont bonnes aux courtisans comme le fouet aux chiens. Il faut toujours que le pouvoir soit mal entouré ; c’est inévitable, par la nature de ceux qui se poussent, et aussi par les parties honteuses que tous montrent à ce jeu. Contre quoi les uns trouvent l’éclat de colère, d’autres le mépris, et d’autres l’indifférence ; mais il faut toujours quelque arme, offensive ou défensive. Il y a de grandes chances pour qu’un homme y devienne misanthrope, s’il est seulement autre chose qu’un vaniteux. Les compétitions aussi et les attaques obliques donnent une méfiance et une ruse. Tel est ce voile politique, toujours tendu entre le monde

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