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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/222

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

que je le prenne. M’est-il profitable ? Me rend-il au delà de ce qu’il me coûte ? Alors je le prends. Mais s’il y a doute, je vais à pied. Je n’écoute point le conseilleur, quand il m’explique qu’une automobile serait bien commode pour mon commerce. Un appartement de vingt mille francs, avec ascenseur, est utile à n’importe qui. Il serait utile aussi d’avoir des toits mobiles sur les vignes par les temps de gelée. Mais chacun comprend que la gelée coûte moins cher que la toiture. Il serait utile aussi, dans un été sec comme celui-ci, d’avoir de l’eau dans des tuyaux, et sous pression, pour arroser les champs. Mais un homme sensé ne fait point tout l’utile ; il fait seulement ce qui paye. »

« Il est clair, lui dis-je, que les inventions utiles nous auraient bientôt ruinés, de même que les connaissances utiles auront bientôt fatigué nos écoliers ; car elles s’étendent ; mais la durée du jour ne s’étend point. »

« Nous y voilà, dit Castor. Tous ces hommes dévoués, intelligents, instruits, qui sont payés au mois, ils approuvent tout ce qui est utile. Ils comptent les services rendus d’après cette idée que tout ce qui est

utile paye. Une banque est utile ; ils approuvent ; cette banque utile meurt de misère ; ils approuvent qu’on l’aide, parce qu’elle est utile. L’utile nous ruine. Un train rapide est utile ; un train encore plus rapide serait encore plus utile. Nos ingénieurs sont étonnants. On sait que les Compagnies de Chemins de fer se ruinent ; les travaux n’en vont pas moins. J’admirais hier des terrassements, des voies neuves ; une gare qui s’étend en largeur ; et je vois bien que les manœuvres seront plus faciles et plus rapides ;

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