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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/237

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LES CIVILISATIONS

Quand on dit que la planète est devenue plus pauvre par cette guerre, on dit quelque chose qui a un sens ; car, premièrement, des objets utilisables ont été détruits, et, deuxièmement, pendant quatre ans, les hommes ont été détournés d’en produire autant qu’ils avaient coutume, passant le principal de leur temps, au contraire, à fabriquer ce qui détruit et, en détruisant, se détruit. Il faut compter aussi les mutilés, qui produisent moins et ne consomment pas moins. Il faudrait dire en revanche que les morts ne nous laissent pas plus pauvres, si l’on admet, pour simplifier, qu’un homme consomme à peu près autant qu’il produit.

Maintenant si l’on se laisse entraîner à dire que le monde terrestre, en son ensemble, a des dettes, autrement dit qu’il a dépensé plus qu’il n’avait, cela n’offre point de sens. Ce que le monde terrestre a usé, brûlé, consommé, certainement il l’avait. Ce qui n’est pas à remplacer en obus, canons, avions, mines flottantes, est réellement payé. Il n’y a que les moyens de produire qu’il faut refaire, comme machines, vaisseaux de commerce. Léviathan a brisé sa bêche ; il doit prendre le temps d’en refaire une ; et le champ en souffrira. Mais n’exagérons point. D’abord la destruction ne s’étend qu’à une petite partie de l’outillage planétaire. N’oublions pas non plus que toute bêche s’use ; non plus qu’un outillage neuf et naturellement plus parfait paye très vite ce qu’il coûte. Enfin la guerre elle-même peut nous consoler si nous y pensons comme il faut. Que prouvent ces folles dépenses, sinon que, puisqu’on les a faites, on pouvait les faire, c’est-à-dire que le travail humain, au point où il en est, produit un excédent

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