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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/94

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

divine, s’il reste au monde quelque dieu. Je ne comprends pas bien comment, nous étant mis à genoux devant ce tombeau vénérable, nous restons après cela à quatre pattes, cultivant aussitôt en nous tous, comme par revanche, les idées les plus basses et les plus courtes. Oui, cet hymne humain s’achève en grognement animal. Nous craignons d’être pauvres, après n’avoir pas craint de mourir. Et c’est le même homme pourtant. Revanche de l’animal en chacun, peut-être.

Il faut dire ces vérités pénibles. Qui donc honore les morts ? On ose bien penser et même dire ceci : « Que nos Morts ne soient pas morts en vain ; que nous recevions au moins le prix du sang. Vingt pièces d’or au moins pour chaque tête. » Mais pensez-vous réellement qu’ils seraient morts pour un milliard ou deux ? Auriez-vous osé leur dire, avant l’assaut : « Courage, mes amis ; nos budgets seront gras ; nous aurons du fer et de l’or. » Ce discours aurait paru ridicule, je ne dis pas même odieux. Non. il fallait les plus hauts motifs, et l’oubli entier de la partie animale, celle qui souffre. Telle est la gloire du combattant ; il ne faudrait pas la fondre en monnaie ; c’est trahir les morts.

Il n’y a qu’un pardon pour ceux qui ont survécu, c’est qu’avec moins de risques ils élèvent plus haut leur pensée. Je trouve bien plaisant qu’on fasse motifs de misère, de resserrements, de travail ingrat, quand tant d’hommes ont souffert plus que la mort. Et quand nos fonctionnaires seraient réduits à la soupe communiste, qu’est-ce que cela si l’on pense

à Verdun, à la Somme, à cette boue sanglante, à cette terreur de jour et de nuit, aux souffrances de l’hô-

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