Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/196

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réflexion il faut donc admirer au contraire, comme une pratique de raison, ce prélude du repas, et cette franchise d’amener au jour la boucherie et la cuisine, et de les faire cérémonieusement. Et ce n’est qu’artifice, non pas tout à fait artifice, si l’on imagine que le dieu politique est le témoin et l’ordonnateur de ces choses. C’est porter la politesse jusqu’à son extrême contraire ; et la politesse, en cette situation difficile, est toujours très ornée. C’est pourquoi les cornes de la génisse sont dorées, pourquoi les bandelettes sont nouées, pourquoi c’est le prêtre ou le chef qui porte le coup ; et c’est mauvais présage si le coup ne tue pas net. La force est prise à ce piège, et civilisée au plus près. Nous sommes barbares à côté, par hypocrisie ; nous ne voulons pas voir tuer ; nous mettons toute notre politesse dans le manger. Toutefois elle est encore la même ; car il n’est pas séant d’empoigner son couteau comme pour tuer encore une fois le bœuf en daube ou le poulet