Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/302

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jamais aucune importance. Ce règne explicite détruit le règne. L’existence agreste gouverne ainsi les animaux, non sans une sorte de religion ; mais le bon sens avertit qu’on ne peut faire un dieu de l’esclave ; car on peut bien inventer une sorte de pensée animale ; mais la pensée de l’esclave, il faut absolument la nier. Là se trouvent un manque et un vide dans la pensée antique, et même dans toute pensée d’empire ; car il s’y trouve du haut en bas des parties d’esclave, mais honteuses et voilées. L’esclave est nu.

Le plus grand fait humain, c’est que l’esclave pense ; et la Fable en témoigne. Cette pensée, par l’effroyable pression qui vient d’en haut, est la seule qui accepte tout à fait sa condition. On admirera que la Fable fasse penser et parler les bêtes, par une métaphore hardie, qui s’arrange pour n’être point crue, et qui ainsi ne peut offenser. Car il n’est point vrai que les animaux parlent, et il n’est point vrai