Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/118

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Aussi considérons l’usage qu’ils en font. Car il ne s’agit pas ici d’un jeu d’idées abstraites, mais d’une funeste règle de pratique qui met le bon sens en interdit. Rien n’égale la hauteur dédaigneuse de cette sagesse qui répond : « Vous imaginez donc que cette guerre pouvait être évitée ? Vous n’avez donc pas saisi les causes lointaines et les causes prochaines ? » Mais si vous les poussez un peu, alors ils s’irritent, ils montrent leur cœur prophétique. Ils viennent à dire avec violence que, du moment que la guerre a eu lieu, elle était inévitable ; et c’est bien le Fatalisme même, si fortement lié à la religion instinctive. En bref, que l’on croie aux desseins de Dieu, ou bien à quelque instinct collectif des peuples, ou bien à des causes historiques ou seulement politiques, je suis toujours en présence de l’âme passive et irritée.

Je comprends cette colère. Il y a un désespoir qui surpasse le désespoir, si l’on entrevoit après l’événement que l’on a consenti à son propre malheur. Il est trop tard pour beaucoup, et toute vue sur le passé tel qu’il aurait pu être est au-dessus de leurs forces sans doute. De là une fureur d’enfer contre moi. Le remords hait le repentir ; et je retrouve ici en action cette idée profonde que les damnés sont damnés parce qu’ils le veulent. Toute faute pourtant est pardonnée, qu’on rejette de soi ; et s’ils faisaient, comme j’ai fait, le serment de ne plus jamais être lâche devant les forces, les morts pardonneraient.