Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/122

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contre le droit au bonheur ; et ce discours exprimait à la fois un violent mépris de toute République et de tout Socialisme, en même temps qu’une crainte de la guerre qui ressemblait à un espoir sauvage. Mauvais prophète qui travaillait avec d’autres à cet avenir que nous avons vu.

Je ne veux point les haïr ; j’essaie de les comprendre. Ce que je vois de sincère et de profond en eux, c’est la servitude totale, c’est l’adoration d’une destinée toujours triste, et qui finit mal. Je leur vois un feu étrange contre l’égalité, contre la justice, contre la paix, contre l’audace pour tout dire. Je les ai trouvés défiants et fermés toujours, attendant, comme on dit, que jeunesse se passe, mais vainement je le jure ; maintenant amers, méprisants et souvent furieux contre moi, qui ne veux que les sauver de la peine, et sauver leurs fils, et sauver leurs filles de veuvage et d’une attente pire. Mais comprenez que c’est un crime à leurs yeux que de vouloir cela, quand eux-mêmes n’osent pas le vouloir. C’est juste. Si je pouvais leur faire apparaître que j’ai raison, quel désespoir en eux, après ce qu’ils ont approuvé, acclamé, adoré. Mais au rebours c’est la preuve des preuves lorsque le pire malheur, purement humain, purement de volonté, et que toute volonté repousse avec horreur, est pourtant un jour, et par volonté. Voilà en quel sens la mort d’un soldat qui aime son métier justifie et relève une existence pleine d’envie, d’amertume, de mépris et de religion. Regardez bien le Protée pendant que je le tiens.