Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/154

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si la tête de l’État n’était que tête et si les membres n’avaient point de tête.

De là il résulte que les opinions, dans un état, sont des faits, ou, si vous voulez des pensées non pensées, des pensées sans penseur. Tout va donc au lieu commun, et, par la loi de neurasthénie, au lieu commun triste. Un mauvais ferment corrompt toutes les pensées communes, par cette loi que je disais, que le plus triste, le plus déprimant, le plus désespérant est toujours ce qui persuade le mieux, dans l’état de mécanisme. Et chacun, dès qu’il veut penser avec d’autres, est dans cet état. D’où ces craintes, cette défiance de soi, et, par réaction, ces sursauts de violence, qui sont tout ce qu’on peut attendre de l’État pensant, et dont il ne nous a point privés.

Je conclus que le devoir de tout citoyen est d’abord de se renfermer, par discipline, en solitude, et de tracer une ligne de douanes sévères contre les opinions sans auteur qui voltigent autour, comme des mouches. Un bon chasse-mouches d’abord, contre les journaux et revues.